« Il s’agit [pour l’analyste] de ne pas s’identifier au sujet, d’être assez mort pour ne pas être pris dans la relation imaginaire, à l’intérieur de laquelle il est toujours sollicité d’intervenir »
(Jacques Lacan, 14 mars 1956. Séminaire 3 : Les Psychoses. Seuil. 1981. p. 182.)
« L’homme en effet entretient avec la nature des rapports que spécifient d’une part les propriétés d’une pensée identificatrice, d’autre part l’usage d’instruments ou outils artificiels. Ses rapports avec son semblable procèdent par des voies bien plus directes : nous ne désignons pas ici le langage, ni les institutions sociales élémentaires qui, quelle qu’en soit la genèse, sont dans leur structure marquées d’artificialisme ; nous pensons à cette communication affective essentielle au groupement social et qui se manifeste assez immédiatement en ces faits que c’est son semblable que l’homme exploite, que c’est en lui qu’il se reconnaît, que c’est à lui qu’il est attaché par le lien psychique indélébile qui perpétue la misère vitale, vraiment spécifique, de ses premières années.
Ces rapports peuvent être opposés à ceux qui constituent, au sens étroit, la connaissance, comme des rapports de connaturalité : nous voulons évoquer par ce terme leur homologie avec ces formes plus immédiates, plus globales et plus adaptées qui caractérisent dans leur ensemble les relations psychiques de l’animal avec son milieu naturel et par où elles se distinguent des mêmes relations chez l’homme. […] l’idée chez l’homme d’un monde uni à lui par un rapport harmonieux laisse deviner sa base dans l’anthropomorphisme du mythe de la nature ; à mesure que s’accomplit l’effort qu’anime cette idée, la réalité de cette base se révèle dans cette toujours plus vaste subversion de la nature qu’est l’hominisation de la planète : la « nature » de l’homme est sa relation à l’homme. »
Lacan, J. 1936, Au delà du « principe de réalité », In : Ecrits, pp.87-8.
« Je mettais entre l’homme et la femme un certain Autre qui avait bien l’air d’être le bon vieux Dieu de toujours, ce qui fait que jamais l’encore-à-naître ne donnera rien que de l’encorné. L’Autre comme lieu de la parole, était une façon, je ne peux pas dire de laïciser, mais d’exorciser le bon vieux Dieu. Je m’en vais peut-être vous montrer en quoi justement il existe, ce bon vieux Dieu. Pourquoi les matérialistes s’indigneraient-ils que je mette, pourquoi pas, Dieu en tiers dans l’affaire de l’amour humain ? Même les matérialistes, il leur arrive quand même d’en connaître un bout sur le ménage à trois, non ? » J. Lacan, Le Séminaire, livre XX. Encore.
De l’amour fusionnel, possessif, clos sur lui-même et fermé au dehors, amour visant à diluer les différences au sein d’un unique hermaphrodisme supra-narcissique, amour dont la fusion élimine tout espace interstitiel par lequel un tiers pourrait s’entremêler, amour qui étouffe l’interzone dans laquelle la danse pourrait avoir lieu, amour dans lequel les amants croient pouvoir renoncer à leur solitude, voire à l’abîme qui les sépare inexorablement, amour dans lequel la vue de chacun est cachée par l’autre même si tout est ouvert derrière l’autre (Rilke),… à l’inscription de l’amour dans le lien social, amour familial, renormalisé, socialisé et médiatisé par l’Autre symbolique, lequel met à la place de l’égalité fusionnelle impossible un rapport de dépendance imposé, stéréotypé, phallocentrique, inégalitaire et instable (dont la gestualité reproduit l’entrée des mariés dans la chambre nuptiale), rapport de dépendance dont la défaillance annoncée ouvre la possibilité de revisiter l’« amour » initial, défaillance des « rapports préfabriqués » par l’Autre qui permet de réinstaller pendant quelques instants l’étreinte fusionnelle perdue… jusqu’au moment où l’Autre peut désormais s’absenter car la « vie conjugale » s’est bien installée, oscillant entre la remémoration sporadique de la fusion impossible, close, narcissique, possessive et aveugle d’une part et les gestes stéréotypés, précaires, hiérarchiques et dépendants de l’autre. A chaque fois, on rate les Deux du rapport dansant, soit par l’Un prétendu de la fusion possessive, soit par le Trois du ménage.
« […] c’est une suppléance de ce pas-toute sur quoi repose la jouissance de la femme. A cette jouissance qu’elle n’est pas-toute, c’est-à-dire qui la fait quelque part absente d’elle-même, absente en tant que sujet, elle trouvera le bouchon de ce a que sera son enfant. », J. Lacan, Le Séminaire, livre XX, Encore.