Ménage à trois



Café Müller - Pina Bausch

« Je mettais entre l’homme et la femme un certain Autre qui avait bien l’air d’être le bon vieux Dieu de toujours, ce qui fait que jamais l’encore-à-naître ne donnera rien que de l’encorné. L’Autre comme lieu de la parole, était une façon, je ne peux pas dire de laïciser, mais d’exorciser le bon vieux Dieu. Je m’en vais peut-être vous montrer en quoi justement il existe, ce bon vieux Dieu. Pourquoi les matérialistes s’indigneraient-ils que je mette, pourquoi pas, Dieu en tiers dans l’affaire de l’amour humain ? Même les matérialistes, il leur arrive quand même d’en connaître un bout sur le ménage à trois, non ? » J. Lacan, Le Séminaire, livre XX. Encore.

De l’amour fusionnel, possessif, clos sur lui-même et fermé au dehors, amour visant à diluer les différences au sein d’un unique hermaphrodisme supra-narcissique, amour dont la fusion élimine tout espace interstitiel par lequel un tiers pourrait s’entremêler, amour qui étouffe l’interzone dans laquelle la danse pourrait avoir lieu, amour dans lequel les amants croient pouvoir renoncer à leur solitude, voire à l’abîme qui les sépare inexorablement, amour dans lequel la vue de chacun est cachée par l’autre même si tout est ouvert derrière l’autre (Rilke),… à l’inscription de l’amour dans le lien social, amour familial, renormalisé, socialisé et médiatisé par l’Autre symbolique, lequel met à la place de l’égalité fusionnelle impossible un rapport de dépendance imposé, stéréotypé, phallocentrique, inégalitaire et instable (dont la gestualité reproduit l’entrée des mariés dans la chambre nuptiale), rapport de dépendance dont la défaillance annoncée ouvre la possibilité de revisiter l’« amour » initial, défaillance des « rapports préfabriqués » par l’Autre qui permet de réinstaller pendant quelques instants l’étreinte fusionnelle perdue… jusqu’au moment où l’Autre peut désormais s’absenter car la « vie conjugale » s’est bien installée, oscillant entre la remémoration sporadique de la fusion impossible, close, narcissique, possessive et aveugle d’une part et les gestes stéréotypés, précaires, hiérarchiques et dépendants de l’autre. A chaque fois, on rate les Deux du rapport dansant, soit par l’Un prétendu de la fusion possessive, soit par le Trois du ménage.

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