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Hamlet et Fortinbras


Prince Hamlet kill King Claudius, in Shakespeare's Hamlet, Gustave Moreau



Hamlet et Fortinbras
(La Revue blanche, 15 juillet 1896)
Stéphane Mallarmé




Un impresario, dans une province mêlée à mon adolescence, épigraphiait HAMLET, qu’il représenta, du sous-titre ou le DISTRAIT : cet homme d’un goût français joliment, entendait, je suppose, préparer, par là, le public à la singularité qu’Hamlet seul compte et qu’à l’approcher, quiconque s’efface, succombe, disparaît. La pièce, un point culminant du Théâtre, est, dans l’œuvre de Shakespeare, transitoire entre la vieille action multiple et le Monologue ou drame avec Soi, futur. Le héros ; tous comparses : il se promène, pas plus, lisant au livre de lui-même, haut et vivant signe ; nie du regard les autres.

Il ne se contentera pas d’exprimer la solitude, parmi les gens, de qui pense ; il tue indifféremment ou, du moins, on meurt. La noire présence du douteur cause ce poison, que tous les personnages trépassent : sans même que lui prenne toujours la peine de les percer, dans la tapisserie. Alors, placé, certes, comme contraste à l’hésitant, Fortinbras, en tout qu’un général ; mais sans plus de valeur et si la mort, fiole, étang de nénuphars et fleuret, déchaîne tout son apparat varié, dont porte la sobre livrée ici quelqu’un d’exceptionnel, cela importe, comme finale et dernier mot, au moment où se reprend le spectateur, que cette somptueuse et stagnante exagération de meurtre, dont l’idée reste la leçon, autour de Qui se fait Seul — pour ainsi dire s’écoule vulgairement par un passage d’armée, vidant la scène avec un appareil de destruction actif, à la portée de tous et ordinaire, parmi le tambour et les trompettes.

Ophélie dans les fleurs


Ophélie dans les fleurs, Odile Redon



Ophélie

Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles...
- On entend dans les bois lointains des hallalis.

Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir

Le vent baise ses seins et déploie en corolle
Ses grands voiles bercés mollement par les eaux ;
Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,
Sur son grand front rêveur s'inclinent les roseaux.

Les nénuphars froissés soupirent autour d'elle ;
Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid, d'où s'échappe un petit frisson d'aile :
- Un chant mystérieux tombe des astres d'or

II

O pâle Ophélia ! belle comme la neige !
Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté !
C'est que les vents tombant des grand monts de Norwège
T'avaient parlé tout bas de l'âpre liberté ;

C'est qu'un souffle, tordant ta grande chevelure,
À ton esprit rêveur portait d'étranges bruits,
Que ton coeur écoutait le chant de la Nature
Dans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits ;

C'est que la voix des mers folles, immense râle,
Brisait ton sein d'enfant, trop humain et trop doux ;
C'est qu'un matin d'avril, un beau cavalier pâle,
Un pauvre fou, s'assit muet à tes genoux !

Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre Folle !
Tu te fondais à lui comme une neige au feu :
Tes grandes visions étranglaient ta parole
- Et l'Infini terrible éffara ton oeil bleu !

III

- Et le Poète dit qu'aux rayons des étoiles
Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis ;
Et qu'il a vu sur l'eau, couchée en ses longs voiles,
La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.

Arthur Rimbaud