Action rajeunissante de l’altérité


« […] il existe une opposition tranchée entre les « instincts du moi » et les instincts sexuels, les premiers tendant vers la mort, les derniers au prolongement de la vie. […] c'est seulement aux premiers que nous avons cru pourvoir attribuer un caractère de conservation ou, plutôt, en rapport avec la tendance à la répétition. D'après notre manière de voir, en effet, les instincts du moi, nés le jour où la matière inanimée a reçu le souffle de vie, tendraient au rétablissement de l'état inanimé.

De l'ensemble [des] recherches [sur l’(im)mortalité des protozoaires] nous relèverons deux faits qui semblent nous fournir un appui solide. Le premier fait est le suivant : si, à une époque où ils ne présentent encore aucune altération en rapport avec la vieillesse, les animalcules [infusoire cilié, en forme de « pantoufle »] réussissent à se fondre ensemble, à « s'accoupler » (pour, au bout d'un certain temps, se séparer de nouveau), ils sont épargnés par la vieillesse, ils subissent un « rajeunissement ». […] Mais l'action rajeunissante de la copulation peut être remplacée par celle de certaines irritations, de certaines modifications dans la composition du liquide nutritif, par l'élévation de la température, par des secousses. […]

Le deuxième des faits dont nous venons de parler est celui-ci : […] ce sont seulement les produits de leur propre métabolisme qui exercent sur les générations [une] action nocive. Dans une solution, en effet, saturée de produits de déchet provenant d'une autre espèce, suffisamment éloignée, les animalcules prospéraient admirablement, alors qu'ils périssaient immanquablement au milieu de leurs propres produits. Abandonné à lui-même, l'infusoire meurt donc d'une mort naturelle, par suite de l'élimination imparfaite de ses produits de désassimilation. Il se peut d'ailleurs qu'au fond tous les animaux supérieurs meurent par la même cause.

[…] Mais par quel moyen la fusion de deux cellules peu différentes l'une de l'autre produirait-elle une pareille rénovation de la vie? Les tentatives faites pour remplacer la copulation des protozoaires par des irritations chimiques, voire mécaniques, nous fournissent à cette question une réponse certaine : cette rénovation s'effectue à la faveur de l'afflux de nouvelles quantités d'excitations. Mais ceci s'accorde fort bien avec l'hypothèse que le processus vital de l'individu tend, pour des raisons internes, à l'égalisation des tensions chimiques, c'est-à-dire à la mort, alors que son union avec une autre substance vivante, individuellement différente, augmenterait ces tensions, introduirait, pour ainsi dire, de nouvelles différences vitales qui se traduiraient pour la vie par une nouvelle durée. »

Freud, S. (1920) Au-delà du principe de plaisir, chap. 6 : Dualisme des instincts, instinct de vie et instinct de mort. [texte intégral]


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