Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma soeur et mon frère....

Moi, Pierre Rivière,
Ayant égorgé ma mère,
Ma sœur et mon frère…



Film réalisé par le français René Allio (1975), sur la base du dossier établi et présenté par Foucault et al. dans l'ouvrage: Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère : un cas de parricide au XIXe siècle, Gallimard, Paris, 1973.
(Vu le 20 Nov. 2010, DVD)





A propos de Pierre Rivière.
Entretien entre François Chatelet, Professeur à l’Université de Paris VIII et Michel Foucault, Professeur au Collège de France.

FC : Ce pauvre Rivière, en somme, pour devenir un intellectuel – parce qu’il appartient à cette classe agricole, de petites gens – pour devenir un intellectuel, il lui faut égorger sa mère, son frère et sa sœur. Nous autres, et nos équivalents de l’époque, pour devenir intellectuel, il suffisait, disons, d’une petite décision, qui consistait à prendre du papier et une plume. Tandis que lui, il faut qu’il prenne une serpe pour devenir un intellectuel. Et c’est ce geste qu’il accomplit, ce geste rituel, ce meurtre réel qu’il accomplit – alors que nous, nous en restons souvent au niveau du meurtre symbolique, et tant mieux pour nous en un sens – et bien il faut qu’il prenne une serpe pour avoir le droit d’écrire, pour avoir à raconter une histoire, pour sortir de l’ordinaire.

MF : Je crois que c’est très important. Remarque, on pourrait aussi dire l’inverse. Car finalement, pour qu’il arrive jusqu’à ce meurtre, il faut qu’il ait pris la décision d’écrire, puisque dans son projet, il s’agissait d’abord d’écrire le meurtre futur, puis, le récit une fois fait, d’aller tuer sa mère, son frère et sa sœur. De telle sorte qu’il a fallu qu’il écrive pour tuer, et il a fallu qu’il tue pour recevoir le statut d’écrivain.





Assise du Calvados, Séance du 11 Novembre 1835

« [Déposition du Docteur Bouchard] Je me résume : Pierre Rivière n’est pas aliéné. Et ceci pour deux raisons. Premièrement, parce qu’en étudiant sa constitution physique, on ne trouve aucune cause qui ait pu déranger les fonctions de son cerveau. Deuxièmement, parce que son état mental ne peut se ranger dans aucune des classifications adoptées par les spécialistes. Ainsi, Pierre Rivière n’est pas monomane, puisqu’il ne délire pas sur un seul et unique objet ; il n’est pas maniaque, puisqu’il n’est pas dans un état habituel d’agitation ; il n’est pas idiot, puisqu’il a écrit un mémoire plein de sens ; et enfin, il n’est pas en démence, ainsi qu’il est facile de le voir. Donc, Pierre Rivière n’est pas aliéné.

[Déposition du Docteur Vastel] Je me résume : Pierre Rivière est, depuis sa première enfance, atteint d’aliénation mentale. Son aliénation trouve sa cause dans la famille même de Rivière où la folie est héréditaire. On la retrouve toute entière dans le calme avec lequel il exécute et dans la manière dont il en parle immédiatement après. La rédaction de son mémoire est loin d’exclure la possibilité d’une aliénation antérieure au parricide. Le retour de Rivière à des idées plus saines pourrait n’être pas de longue durée. Et s’il n’est pas coupable, il est néanmoins dangereux. La société a donc le droit de demander, non pas la punition de ce malheureux puisque sans liberté morale il ne peut y avoir de culpabilité, mais sa séquestration, par mesure administrative, comme le seul moyen qui puisse la rassurer sur les actes ultérieurs de cet aliéné. »



Rappel macabre (extraits de Libération)
Cours d'assise de la Seine-Maritime, 06.2010

« Cocaign s’est acharné sur Thierry Baudry à coups de poings, de genoux, de lames de ciseaux. Il lui a fourré la tête dans un sac en plastique. Puis il a fait revenir dans une poêle un peu d’ail, de riz et des échalotes. Avec une lame de rasoir, il a arraché un morceau de ce qu’il pensait être le cœur de Thierry Baudry - en fait, un bout de son poumon gauche et des muscles intercostaux. Il l’a fait revenir dans la poêle et l’a mangé (il dira plus tard que ça avait «bon goût»). C’était dans la nuit du 2 au 3 janvier 2007. […]
Est-il fou ? Peut-il être jugé ? La peine aura-t-elle un sens pour lui ? Oui, ont décidé les psychiatres et le juge d’instruction, qui a renvoyé Cocaign aux assises. Les jurés devront trancher.

«Seuls les experts psychiatres ne se rendent pas compte que Cocaign est fou, ironise son avocat, Fabien Picchiottino. Un jour, il se dit sataniste, le lendemain il parle de loup-garou… Pour la défense, c’est terrible : il est capable de tout au procès.» Les diverses expertises font de son client un portrait inquiétant. «Psychose schizophrénique» pour les uns, «tendance paranoïaque et mégalomaniaque» pour beaucoup, «anesthésie affective», diagnostique encore celui-là. Dangerosité criminelle en tout cas. Pour la majorité des experts, le discernement du meurtrier a été altéré lors de son crime, pas aboli. Une nuance qui signifie que Cocaign devra rendre compte de ses actes devant la justice.
Cocaign a toujours avoué les faits. Crûment. Il n’a jamais masqué ses troubles. Parfois même, il a pris peur de ses propres pulsions. Dix ans avant la prison Bonne-Nouvelle, il demande à se faire hospitaliser et à subir une castration chimique. Un an plus tard, il se présente à la gendarmerie de Forges-les-Eaux pour faire état de ses fantasmes. «Je voulais de l’aide, dira-t-il aux enquêteurs, être hospitalisé, ou partir à la légion étrangère.» Mais Cocaign ne respecte pas longtemps ses traitements. »

« hier, c’est sur la responsabilité de Cocaign que les experts psychiatres ont glosé longuement. Son discernement était-il altéré pendant le meurtre ou totalement aboli ? «Comment pouvez-vous dire que vous étiez hors de contrôle, alors que vous avez baissé le feu de votre réchaud, avant d’aller prendre votre rasoir ?» a demandé l’avocate générale. «Cette audience est hallucinante, rétorque l’avocat de Cocaign, Me Picchiottino. Comme si pour être irresponsable, il fallait ne connaître qu’un moment de folie court, à faire n’importe quoi. On peut bien organiser un meurtre, et penser à baisser le feu sous la poêle, tout en étant en plein délire…» »

« La Cour d’assises de la Seine-Maritime a condamné jeudi à trente ans de réclusion criminelle, assortis d’une peine de sûreté de vingt ans, Nicolas Cocaign, accusé d’avoir tué et mangé un morceau de poumon d’un codétenu. […]
La cour s’est strictement conformée aux réquisitions de l’avocate générale Elisabeth Pelsez qui n’avait pas réclamé la peine maximale - la perpétuité - en estimant que le discernement de l’accusé était «altéré» sans être «aboli» par des «troubles psychotiques» au moment du crime. […]
«Il a tué parce qu’il est fou, complètement fou», a dit l’avocat en s’adressant à la mère de Thierry Baudry qui avait perdu dans cette prison un autre fils, mort par suicide en 1998.
Tout en jugeant les faits «dégueulasses, horribles, monstrueux et exécrables», l’avocat en avait appelé aux valeurs anciennes de la société. «Depuis le siècle des Lumières, on ne juge plus les fous même s’il existe un risque qu’un jour un médecin psychiatre lève la mesure d’hospitalisation d’office qui serait prise à son égard», a-t-il affirmé.
Me Picchiottino a estimé que ce dossier signait «la faillite d’un système» en mettant en cause la psychiatrie et la pénitentiaire. »

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