Melancholia (2011) de Lars Von Trier

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Figures de femmes

Claire, anxieuse, femme-mère, accepte de vivre dans le monde des hommes et de l’alimenter, d’y procréer, d’en organiser la danse. Claire souffre du dehors ; elle souffre de tout ce qui, de ce monde, ne tourne pas rond : une limousine ne braquant pas suffisamment qui ridiculise une organisation au cordeau, une sœur pour qui tout a le goût de cendre et dont le corps qui ne supporte plus son propre poids s’écroule sur le petit-chocolat-de-bienvenu bien en place sur l’oreiller de la chambre d’amis, une planète qui danse la mort et défit la certitude calculée de son mari. Que l’apocalypse s’annonce inexorablement, et c’est encore dehors qu’elle tente de s’en extraire alors qu’il n’y a pourtant « nulle part où se cacher », comme le dira son mari à son fils.

Justine, mélancolique, femme-non-mère, se voit refuser l’accès même à ce monde, et refuse de s’y inscrire, rejetant son mari, ses pommes et ses fantasmes d’enfant-sur-une-balançoire (justement pour ne pas avoir un père, c’est un homme qu’elle veut quand elle remonte sa robe de mariée). S’extrayant de l’avidité de son patron, ce qu’elle lui donne sous forme de démission et d’insulte, et dont il tente pitoyablement de s’emparer comme d’un dernier « slogan », résume tout ce qu’elle est au monde : Rien. Justine souffre du dedans ; elle souffre de ce que ce monde sans sens ni consistance ne soutient pas même son corps qui subit alors tout la force de gravité, sans retenue, malgré sa sœur qui tente à bout de bras de l’immerger de nouveau dans le monde d’un mariage organisé et de la relative apesanteur d’un bain moussant. Mais il n’est que deux voies de sortie pour Justine. L’apocalypse, d’une part, qu’elle accueille sensuellement, du dedans, comme l’accord du rien de plomb qui l’habite et de l’anéantissement d’un monde qui fait incessamment violence à ce rien, en ceci justement qu’il est artificiellement construit comme un déni de la pesanteur du vide. La magie, d’autre part, dernier refuge, là où on peut se cacher lorsque tout dehors s’apprête à disparaitre, là où on tient la main d’un enfant, pas de soi, qui aura « nulle part où grandir ».

La mère, aigrie, refuse la danse de ce monde. Elle souffre comme Claire de ce dehors sur lequel, comme Justine, elle n’exerce aucune maitrise. Mais, alors que Claire tente de se maintenir elle-même en maintenant comme sien un certain monde, et alors que Justine se défait en défaisant le tissage du monde, alors, donc, que Claire et Justine sont fondamentalement au-monde, la mère tente illusoirement de s’en extraire par la négation du fait irréductible que c’est là qu’elle est.


Figures d’hommes

Le père est un pantin sur un manège, et il a depuis longtemps oublié qu’une fonction lui incombe, celle de régler la répétition de ses tours, et non d’y tourner lui-même jusqu’à en perdre tout aplomb. Dès lors il ne peut que jouir – sans plaisir – dans la stérile répétition d’un jeu qui ne vaut que d’être répété : faire danser non une femme mais deux Bettys, se jouer de la serviabilité des serveurs à rendre serviles, et finalement, ne même pas assumer de partir, mais ne pouvoir refuser de se faire raccompagner, et ainsi laisser l’appel de Justine sans autre réponse que l’absence et l’imbécilité, la renvoyant ainsi à ce à quoi elle tentait ultimement d’échapper : la vacuité.

Le mari ne connait pas le plaisir qu’il peut y avoir à manier la langue ni le plaisir qu’une femme pourrait alors avoir à l’écouter. Il part sans motdire.

Le patron est lui-même ignorant du mot mais en chasse chez l’autre la puissance d’évocation, son rôle se bornant à transformer celle-ci en valeur marchande. Il méconnait ainsi, et pervertit une toute autre valeur qu’à la parole quand elle est saisie purement en tant qu’elle s’adresse à qui l’écoute.

Le beau-frère connait le langage du matérialisme, de ce qui se calcule scientifiquement et se compte financièrement. Que le réel s’impose, qu’il doive dépenser son argent, et finalement repenser ses prédictions, lui est insupportable. Il s’en extraira.




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