Eraserhead (1977) de David Lynch

Vu le 31.10.2010 (Cinémathèque, Paris).

Inquiétante familiarité [1], notre ‘home’ devient ‘unheimliche’.


Symptomatique de l’unheimlichkeit : l’expression de Henry quand il rentre à la maison, et est le témoin d’une scène familiale familière à tout parent : maman nourrit (ou essaye de nourrir) bébé. Sa première expression est celle d’un attendrissement… ‘ô c’est si chouchou’… Cette expression laissera place, dès le plan suivant, à l’inquiétude, voire le dégout.


De même, le radiateur, objet utilitaire et tellement familier qu’il n’est plus vu (mais sert à étendre les chaussettes) dont la pénétration progressive révèlera l’étrangeté, ce qui y est caché (in Heaven, everything is fine…). Ce qui y est caché est lui-même ambivalent : la chaleur, la douceur d’une mélodie chantonnée avec le sourire d’une jeune femme aux expressions enfantines, qui pourtant écrasera les ‘spermes’ géants et fera perdre la tête à Henry (lien video).


"In heaven everything is fine, you've got your good thing and you've got mine"
- Lady in the Radiator




Extimité [2], notre familiarité avec nous-mêmes s’altère, nous nous révélons autre.
L’autre (l’enfant) comme miroir de soi, comme extériorisation de l’intime, extériorisation qui n’est possible comme miroir que parce que l’intime est déjà tissé d’altérité, comme une extériorité repliée.




Soi comme vecteur d’étrangeté, contaminant, en les pénétrant, la vierge (Mary dont il retire des spermes géants) et l’innocent (le bébé qui devient malade).

Corps sans organes [3], le corps (de l’enfant) d’avant les organes vs. le corps (de l’homme dans la lune) aux tumeurs ex.orbitées qui pousse les leviers de Henry, contrôlé par l’un et l’autre, en aval et en amont.






[1] Unheimlichkeit
« L’inquiétante étrangeté sera cette sorte de l'effrayant qui se rattache aux choses connues depuis longtemps, et de tout temps familières. […] Le mot allemand « unheimlich » est manifestement l'opposé de « heimlich, heimisch, vertraut » (ternies signifiant intime, « de la maison », familier). […] Ce qui était sympathique se transforme en inquiétant, troublant […] le mot « heimlich » n'a pas un seul et même sens, mais qu'il appartient à deux groupes de représentations qui, sans être opposés, sont cependant très éloignés l'un de l'autre : celui de ce qui est familier, confortable, et celui de ce qui est caché, dissimulé. […] « Unheimlich » serait tout ce qui aurait dû rester caché, secret, mais se manifeste. […] « Unheimlich » est, d'une manière quelconque, un genre de « heimlich » (Freud, L’inquiétante étrangeté, 1919)

[2] Extimité
« [280] La jouissance elle-même se définissant comme étant tout ce qui relève de la distribution du plaisir dans le corps. [281] Cette distribution, sa limite intime, voilà ce qui conditionne ce qu'en son temps et avec bien sûr plus de mots, plus d'illustrations qu'ici je ne peux le faire, ce que j'ai avancé, j'ai désigné comme vacuole, comme cet interdit au centre qui constitue, en somme, ce qui nous est le plus prochain, tout en nous étant extérieur. Il faudrait faire le mot « extime » pour désigner ce dont il s'agit. » (Lacan, Séminaire XVI, 1968-9).
« [322] C'est en tant qu'il est ici une place que nous pouvons désigner du terme conjoignant l'intime à la radicale extériorité, c'est en tant que l'objet(a) est extime […] » (Lacan, Séminaire XVI, 1968-9).
« [292] si nous partons de ce que nous décrivons comme ce lieu central, cette extériorité intime, cette extimité qui est la Chose […] » (Lacan, Séminaire VII, 1959-60).

[3] Corps sans Organes
« [43] Le corps sans organes n'est pas un corps mort, mais un corps vivant, d'autant plus vivant, d'autant plus grouillant qu'il a fait sauter l'organisme et son organisation.
[58] On appelait matière le plan de consistance ou le Corps sans Organes, c'est-à-dire le corps non formé, non organisé, non stratifié ou déstratifié, et tout ce qui coulait sur un tel corps, particules submoléculaires et subatomiques, intensités pures, singularités libres préphysiques et prévitales.
[194] Il s'agit de faire un corps sans organes, là où les intensités passent, et font qu'il n'y a plus ni moi ni l'autre, non pas au nom d'une plus haute généralité, d'une plus grande extension, mais en vertu de singularités qu'on ne peut plus dire personnelles, d'intensités qu'on ne peut plus dire extensives. Le champ d'immanence n'est pas intérieur au moi, mais ne vient pas davantage d'un moi extérieur ou d'un non-moi . Il est plutôt comme le Dehors absolu qui ne connaît plus les Moi, parce que l'intérieur et l'extérieur font également partie de l'immanence où ils ont fondu.
[200] Ce n'est plus un organisme qui fonctionne, mais un CsO qui se construit. Ce ne sont plus des actes à expliquer, des rêves ou des fantasmes à interpréter, des souvenirs d'enfance à rappeler, des paroles à faire signifier, mais des couleurs et des sons, des devenirs et des intensités » (Deleuze et Guattari, Mille Plateaux, 1980)

Aucun commentaire: