Libération 19/06/2010 à 00h00
Le général Bigeard passe l’arme à gauche
Portrait - décès. Celui qui s’illustra au cours de trois guerres, qui voyait dans la torture en Algérie «un mal nécessaire», fut ministre et député UDF.

Par JEAN-DOMINIQUE MERCHET

Un «p’tit gars» de Toul, grande gueule et grand soldat, est mort vendredi. Le général (4 étoiles) Marcel Bigeard, 94 ans, laisse derrière lui Gaby, épousée en 1942, et des milliers d’autres «petits gars», qui ressentiront durement la disparition de «Bruno», le surnom tiré de son indicatif radio. Au fil des ans, Bigeard en était venu à incarner l’image que les Français voulurent, un temps, avoir de leur armée, en positif comme en négatif. L’image, car si Bigeard fut un grand soldat, il ne fut pas le seul à s’illustrer dans les combats de la Seconde guerre mondiale puis ceux des guerres d’Indochine et d’Algérie. Mais contrairement à ses pairs, Bigeard fut un grand communicant. Il eut non seulement le talent du soldat au combat, mais aussi - surtout, diront ses détracteurs - celui de le faire savoir. Jamais il n’a compté son temps pour les journalistes et il savait trouver la formule à l’emporte-pièce ou prendre la pose «qui va bien» devant les photographes. N’échappant pas non plus à la controverse quand il justifia la torture en Algérie.

Symbole. Il entendait incarner le soldat moderne, en rupture totale avec le poilu de 14-18 ou le «pioupiou» défait en 40 : celui qui court, qui ne boit pas, qui fait la guerre parce qu’il aime ça, un peu comme un sport où il faut respecter son adversaire. Dans une hiérarchie militaire souvent issue de milieux privilégiés, il était le symbole d’une armée démocratique, issue du peuple, qui collait avec les images des héros hollywoodiens d’alors, tel John Wayne.

Né le 14 février 1916 à Toul, le jeune Marcel ne se destinait pas à une carrière militaire. Fils de cheminot, il entre comme employé de banque à la Société générale. Très sportif, c’est un garçon moderne qui s’enthousiasme pour le cyclisme et pratique la boxe. Il est appelé sous les drapeaux en 1936 dans un régiment d’infanterie de forteresse, sur la ligne Maginot. Lorsque la drôle de guerre éclate, il se porte volontaire pour les corps francs, les commandos de l’époque. Fait prisonnier le 25 juin 1940, il est détenu en Allemagne dont il s’évade en novembre 1941. Il réintègre l’armée de Vichy chez les tirailleurs sénégalais, à Thiès (Sénégal). Après le débarquement anglo-américain en Afrique du nord, Bigeard est nommé sous-lieutenant et il se porte volontaire pour servir dans les services spéciaux. Il est parachuté en Ariège, le 8 août 1944, pour encadrer les résistants. Sur place, on lui fait croire qu’il commande des anarchistes espagnols, alors que ce sont des communistes bon teint…

«Paras colos». C’est en Indochine et en Algérie qu’il va se faire connaître du grand public. Lors de son troisième séjour en Indochine, son mythe va naître, avec la bataille de Na San et celle de Dien Bien Phu. Nommé lieutenant-colonel durant les combats, il est fait prisonnier par le Vietminh et libéré au bout de quatre mois. Comme toute sa génération, il est très marqué par l’aventure indochinoise et la défaite devant une armée révolutionnaire.

Toujours au sein des «paras colos», Bigeard part pour l’Algérie en 1955, théâtre sur lequel il réalise les premières opérations héliportées. Il est grièvement blessé en 1956, à deux reprises. En 1957, son régiment est engagé dans la bataille d’Alger. Il a parfois été accusé d’avoir pris part directement à la torture, ce qui n’a jamais été prouvé, en dépit des déclarations de l’Algérienne Louisette Ighilahriz qui avait dit un jour que Bigeard aurait dû présenter des «excuses» aux Algériens . Lui-même le niait, mais voyait dans la torture «un mal nécessaire» dans la guerre contre-insurrectionnelle.

Son régiment est de tous les coups. Il fait du «bilan», en forçant parfois le trait : tant de «fells» mis hors de combat, tant d’armes capturées. Du bilan, mais si Bigeard est populaire auprès de ses hommes, c’est parce qu’il est économe de leur vie. Il popularise une célèbre casquette, dont il n’est pas l’inventeur, mais qui deviendra la «casquette Bigeard». Cela plaît aux journalistes. A tel point qu’il devient un personnage de roman sous la plume de Jean Lartéguy. Dans les Centurions, Raspéguy, c’est Bigeard, incarné à l’écran par Anthony Quinn. S’il aime les caméras, Bigeard se tient alors autant qu’il le peut à l’écart de la politique. Le hasard d’une carrière faisant bien les choses, il commande une école militaire en Centrafrique de 1960 à 1963, ce qui lui permet de passer entre les gouttes du putsch des généraux puis de l’OAS. En France, il entame une carrière plus banale qu’il achève en 1974 à la tête de la région militaire de Bordeaux.

Giscardien. L’armée est alors traversée par une crise profonde avec les comités de soldats. Valéry Giscard d’Estaing le nomme secrétaire d’Etat à la Défense en février 1975. Il s’y occupe de la condition militaire et parvient à ramener le calme dans les casernes. Bigeard, qui ne fut jamais de la famille gaulliste, devient giscardien et s’engage dans le parti de son héros, l’UDF. Il siège dix ans, de 1978 à 1988, à l’Assemblée nationale. Parallèlement à la politique, Bigeard publia des livres. Pour une parcelle de gloire, ses mémoires parues en 1975, furent un très grand succès. Alors qu’il fut longtemps mal vu au sein de l’armée, sa popularité n’a cessé de croître ces dernières années. Elle était telle qu’il pouvait déjà collectionner les plaques de rue à son nom…

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