« L’homme en effet entretient avec la nature des rapports que spécifient d’une part les propriétés d’une pensée identificatrice, d’autre part l’usage d’instruments ou outils artificiels. Ses rapports avec son semblable procèdent par des voies bien plus directes : nous ne désignons pas ici le langage, ni les institutions sociales élémentaires qui, quelle qu’en soit la genèse, sont dans leur structure marquées d’artificialisme ; nous pensons à cette communication affective essentielle au groupement social et qui se manifeste assez immédiatement en ces faits que c’est son semblable que l’homme exploite, que c’est en lui qu’il se reconnaît, que c’est à lui qu’il est attaché par le lien psychique indélébile qui perpétue la misère vitale, vraiment spécifique, de ses premières années.
Ces rapports peuvent être opposés à ceux qui constituent, au sens étroit, la connaissance, comme des rapports de connaturalité : nous voulons évoquer par ce terme leur homologie avec ces formes plus immédiates, plus globales et plus adaptées qui caractérisent dans leur ensemble les relations psychiques de l’animal avec son milieu naturel et par où elles se distinguent des mêmes relations chez l’homme. […] l’idée chez l’homme d’un monde uni à lui par un rapport harmonieux laisse deviner sa base dans l’anthropomorphisme du mythe de la nature ; à mesure que s’accomplit l’effort qu’anime cette idée, la réalité de cette base se révèle dans cette toujours plus vaste subversion de la nature qu’est l’hominisation de la planète : la « nature » de l’homme est sa relation à l’homme. »
Lacan, J. 1936, Au delà du « principe de réalité », In : Ecrits, pp.87-8.