Aragon fou d'Elsa (1963)


Vainement ton image arrive à ma rencontre

Et ne m’entre où je suis qui seulement la montre

Toi te tournant vers moi tu ne saurais trouver

Au mur de mon regard que ton ombre rêvée


Je suis ce malheureux comparable aux miroirs

Qui peuvent réfléchir mais ne peuvent pas voir

Comme eux mon œil est vide et comme eux habité

De l’absence de toi qui fait sa cécité


Louis Aragon, Contre-Chant, dans: Fou d'Elsa

Cité dans : Lacan, Séminaire XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. 1964



C’était au beau milieu de notre tragédie
Et pendant un long jour assise à son miroir
Elle peignait ses cheveux d’or Je croyais voir
Ses patientes mains calmer un incendie
C’était au beau milieu de notre tragédie

Et pendant un long jour assise à son miroir
Elle peignait ses cheveux d’or et j’aurais dit
C’était au beau milieu de notre tragédie
Qu’elle jouait un air de harpe sans y croire
Pendant tout ce long jour assise à son miroir

Elle peignait ses cheveux d’or et j’aurais dit
Qu’elle martyrisait à plaisir sa mémoire
Pendant tout ce long jour assise à son miroir
À ranimer les fleurs sans fin de l’incendie
Sans dire ce qu’une autre à sa place aurait dit

Elle martyrisait à plaisir sa mémoire
C’était au beau milieu de notre tragédie
Le monde ressemblait à ce miroir maudit
Le peigne partageait les feux de cette moire
Et ces feux éclairaient des coins de ma mémoire

C’était un beau milieu de notre tragédie
Comme dans la semaine est assis le jeudi

Et pendant un long jour assise à sa mémoire
Elle voyait au loin mourir dans son miroir

Un à un les acteurs de notre tragédie
Et qui sont les meilleurs de ce monde maudit

Et vous savez leurs noms sans que je les aie dits
Et ce que signifient les flammes des longs soirs

Et ses cheveux dorés quand elle vient s’asseoir
Et peigner sans rien dire un reflet d’incendie


Louis Aragon, Elsa au miroir , dans : La Diane française, 1945


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